Au long du Gange


Malgré le vent un peu fort ce matin, la vielle dame traverse la foule des pèlerins, quelques braises fumantes sur le bout d'écorce qu'elle porte à bout de bras. Sa carriole rejointe, elle jette les braises dans la marmite en terre cuite posée au milieu d'un tas de cacahuètes. Puis elle brise l'écorce et la jette dans la marmite avec deux bouses bien sèches. Elle a un tee-shirt vert bien court et bien moulant qui laisse voir son gros ventre et ses bourrelets. Et un beau sari orange. Ses longs cheveux blanc gris jaune sont noués en chignon sur le dessus de sa tête.

- Hari Om Babaji ! Lance-t-elle au vieux baba qui referme la porte de sa cahute.

Lui aussi a ses cheveux noués sur la tête mais ils sont cachés par un turban rose délavé. Sa chemise et son pagne sont eux pimpants neufs, on en voit encore les plis. Sur son visage repeint de neuf, le trident jaune pale déborde sur le nez et les sourcils. Juste une petite touche rouge sang au milieu de la branche centrale. Lentement, en boitant, il avance sa canne dans une main, le pot d'ablution en laiton dans l'autre. Etonnamment leste, la vielle dame grimpe sur sa carriole et s'installe à côté des cacahuètes.

- Ram Ram !

La journée peut commencer. Pas très loin un gars prépare son pan. Il le malaxe du pouce droit dans la paume de la main gauche, puis il se le colle sous la gencive. Cela va le faire cracher rouge et lui donner l'air stupide une bonne partie de la matinée. Sur un autre banc, un couple de vieux lit le journal. Vu son âge la dame n'a jamais dû apprendre à lire, alors son mari lui fait la lecture lentement. A voix haute, il lui lit l'actualité. Je n'y comprends rien, mais d'où je suis je vois des photos, des tanks, des avions de guerre, des cartes. Quelque part on doit se préparer à se foutre sur la figure...

Pendant que je pense à tout ça, une petite peau s'est formée à la surface de mon verre de thé au lait masala, et je dois souffler dessus pour la briser et éviter qu'elle ne se colle tout entière à ma moustache. Et il est d'ailleurs temps de bouger, le soleil a déjà percé au-dessus des montagnes et je l'ai plein les yeux. Et puis je ne sais plus comment interpréter les battements de cils appuyés de cette petite grosse vache au museau humide qui bave sur mon sac.

- Om Shanti !

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