Le temple de Madurai est construit autour d'un grand bassin et de nombreux halls à colonnes
dont la plupart sont interdits aux non hindous. Il y règne une intense activité. Par la porte
ouverte on devine parfois quelques groupes en dévotion. Ca sent l'encens, la sueur, les
excréments, la nourriture et les fleurs. Sous les colonnades, une statue m'intrigue.
Plusieurs en fait, mais celle-là plus que les autres. C'est un petit éléphant cabré sur ces
pattes arrière, la trompe en l'air. Un étrange animal, beaucoup plus gros, mi-fauve,
mi-rapace, se tient debout sur l'éléphant et lui plante ses serres dans les flancs.
Debout lui aussi, il tient dans ses mains sa trompe, ou sa langue. Ce monstre a l'air
terrible. Sa trompe enlace celle de l'éléphant, quelquefois son sexe en érection rejoint les
deux trompes en un drôle de nœud. Mais le plus important se passe autour du bassin. Le temple
de Sri Meenakhi est dédié à la femme de Murugan, le second fils de Shiva. Tous les dieux sont
venus au mariage, avec leurs femmes, leurs enfants et leurs animaux. Il y en a même qui sont
venus plusieurs fois, on n'est pas dieux pour rien. Plus quelques démons, sages et animaux
sacrés, il y en a partout. Les sept tours temples sont couvertes de leurs représentations,
je me demande si l'on pourrait les compter. C'est un lieu sacré et l'on y vient pour se marier
de toute l'Inde.
Un matin, je m'étais installé sur les escaliers autour du grand bassin, juste pour regarder.
Petit à petit, les pèlerins sont venus au fil de la matinée et se sont assis eux aussi un peu
partout. A côté de moi, puis de plus en plus près au fur et à mesure que la foule gonflait.
Quand les mariages ont commencé, il n'y avait plus de place pour rester assis, il m'a fallut
me lever, on me marchait dessus. J'ai donc du descendre de quelques marches, me rapprochant
du bassin, mais la foule m'a rattrapé et j'ai finalement du quitter le temple.
Je ne suis revenu qu'en fin de journée, vers 18 h, ce fut une bonne idée. Après avoir laissé
mes chaussures à l'entrée et passé les rangées de mendiants, je me trouvais devant le temple
encombré de Shiva. On venait de terminer le maquillage de l'éléphant gardien des lieux.
Le haut du crâne en noir, le front marqué des trois bandes blanches et du point rouge
symbolisant la trinité et l'unicité de Dieu, la trompe toute blanche, un collier de clochettes,
et le dos couvert de tissus multicolores. Tranquillement, l'éléphant et son maître libéraient
la place dans l'indifférence générale. Quand retentit le son du tambour et de la cornemuse,
la foule entière se mis en mouvement, je fus bousculé. Un groupe d'hommes bien baraqués rentrèrent
alors, à demi nus, juste un pagne blanc ceint sur les hanches et la fine cordelette des brahmanes
en travers du corps. Ils s'approchaient du temple en portant sur leurs épaules un énorme baldaquin
de bois doré. Dans le baldaquin, un lion en or, le trône de Shiva, et sur le lion, Shiva lui-même
couvert de fleurs, on ne voyait que sa tête. Un groupe de sadhous en orange ouvraient la marche
en écartant la foule. Au fur et à mesure de son avancé, les fidèles levaient les bras au ciel,
les joignaient au-dessus de leur tête puis les ramenaient sur leur poitrine.
La procession s'arrêta un instant devant la statue du fidèle Nandi, le taureau monture de Krishna,
Dieu fait homme, lui aussi couvert de fleurs, de poudres multicolores, de lait de coco et de beurre
fondu. Puis soudain, il y eut une panne de courant. Dans l'obscurité il ne restait que le son du
tambour, le bruit de la foule, la faible lueur des mille flammèches allumées devant les mille
divinités sculptées sur les mille piliers du temple. Et une puissante odeur d'encens et de beurre
fondu. Quand la lumière revint, le baldaquin repris sa course vers le saint du saint, interdit aux
non hindous. La foule suivit mais je ne pus la joindre. Les quelques dizaines de personnes restées
à l'extérieur s'assirent alors par terre pour fracasser des noix de coco et rompre ainsi le jeune
commencé dans la matinée. On m'en offrit. Tout cela n'a duré que quelques minutes, ce mouvement
de foule pouvait paraître inquiétant, mais j'étais parfaitement à l'aise.
La cérémonie terminée, l'éléphant revint à sa place. En se dispersant, quelques fidèles lui
glissaient une pièce ou une cacahuète dans la narine, en échange du geste délicat de la
trompe posée sur le crâne. La bénédiction de Ganesh, l'autre fils de Shiva...