Port Mathurin, la Baie aux Huîtres, la Pointe du Diable, le Mont Croupier, la Baie Topaze, l'Ile Destinée, la Caverne Patate, l'Ile Pintade, la Rivière Cocos, l'Ile Paille-en-queue, le Trou d'Argent, la Pointe Coton, le Mont Piments, le Mont Piquant, Roche Bon Dieu, le Mont Charlot, le Mont Tonnerre, les Quatre Vents… Le premier premier-ministre de l'île s'appelait Benoit Jolicoeur…
Voilà une terre comme je les aime, aride, austère. Le ciel est chargé, le vent y est constant, la végétation rare et l'herbe rase. Il faut aller à Rodrigues. En bateau ou en avion, il faut aller à Rodrigues. Et s'y promener à pied, tranquillement, pour dire bonjour aux Rodriguais, et répondre à leur salut. Ni luxe ni misère, c'est la vie ordinaire des simples gens.
On dit que comme les oasis, le Ciel a créé les îles pour servir de refuges (Bernardin de St Pierre.) Rodrigues est un de ces refuges. Mais plus que ça, ce serait comme une île pour ceux qui aiment aussi la campagne, ou alors quelques collines pour ceux qui adorent aussi la plage. Il faut imaginer l'Aubrac posé dans les eaux claires et tièdes de l'Océan indien. Il y a même des chèvres, des poules et ça sent bon la bouse séchée. On y trouve des vaches qui paissent sous les cocotiers, et du poisson séché au fond de la vallée. Ce serait comme des pêcheurs installés à la campagne, ou alors des paysans qui vivraient au bord de la mer. C'est parfois comme une île, bretonne, posée sous un soleil, créole.
Comme tous les matins je me demande s'il ne vaudrait pas mieux partir tant que le charme résiste encore. Comme tous les soirs, je me dis que j'ai fait une super balade et que j'ai bien fait de rester encore un peu. Ce n'est certainement pas le Paradis, mais si le Paradis c'était comme ça, ça ne serait pas trop mal ! Mais il y aurait quand même quelques réglages à faire comme par exemple le niveau sonore de la plupart des moteurs diesel, des récepteurs radio, des aboiements de chiens...
Mer agitée à très agitée. J'ai trop pris de soleil aujourd'hui aussi. Surtout derrière le pied, au-dessus du talon, juste avant le mollet. Drôle d'endroit pour un coup de soleil, c'est la première fois. Et le samedi soir, qu'est-ce qu'on fait ? On boit le rhum, oh juste un peu ! Et le dimanche ? On va au match de foot. Mais ce dimanche c'est régate. De courts voiliers sans quille, plutôt faits pour la pêche. Cinq bateaux entre la Baie Malgache et la Baie du Nord dans guère plus de deux mètres d'eau. Suspens jusqu'à l'arrivée. Excitation générale, la foule, le jeu, la bière.
Pendant que je fais mon courrier, un prêtre vocifère à la radio, ou à la télé, un sermon à faire pâlir un intégriste musulman. Qu'il y a-t-il de commun entre un chrétien Français, un chrétien Malgache et un chrétien Rodriguais, qui se prétendent tous de la même confession catholique ?
Comme souvent en fin de journée, je vais Chez Eddy manger l'ourite en sauce accompagnée d'oignons mauves crus, ou le queno-queno, un gros escargot marin en salade d'œufs durs.
- Correct correct ! Comme on dit ici…
Ce soir, seule une table est libre, les deux autres sont occupées par deux fillettes en train de réviser leurs leçons avec leur grand frère, la dernière sert de comptoir. La petite dernière de la famille m'appelle Tonton. Il est 7 heures du soir, c'est l'heure des geckos, ces félins des plafonds. Près d'un néon poussiéreux, l'un d'eux, vient d'attraper une proie trop grosse pour lui, il en frétille encore. Un autre vient de détacher sa queue du plafond pour en laisser choir une crotte. C'est Brel à la radio, la valse à 1000 temps. Il y a 100 jours ce soir je quittais Mazamet.
Près de la Caverne Patate, des ouvriers travaillent dans une carrière de pierre de corail. Ils attaquent la colline à la scie égoïne. Pas très loin, au-dessus d'une des rares forêts de l'île, un couple de paille-en-queues élégants, virevoltent autour de leur nid. Ce bel oiseau au plumage blanc a deux longues plumes que l'on dirait planter dans le cul, d'où son nom pudiquement transformé.
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