Ici la terre est morne et plate, infiniment longue et lente. Et le ciel est si bas qu'on distingue à peine l'horizon. Et le ciel si pesant que le soleil en est tout pâle. Le temps est lourd mais il ne fait pas chaud, c'est encore l'hiver. Tout est gris, le sol couvert de caillasses et de poussière de sable. Sur cette terre aride le vent est abrasif et oblige à se taire. Il faut courber l'échine, se rapprocher les cils et apprendre à se taire. Tout est gris, sauf le boubou des hommes et la tunique des femmes.
Au rythme lent du pas des bêtes, tout le troupeau avance vers le point d'eau.
Les jeunes ânes trottinent autour de leurs parents chargés de bidons vides.
Tout le monde s'agite autour du puits, sauf les vaches impassibles, comme toujours.
Délestés de leur charge, les ânes se regroupent par deux et se mordent le cou,
mutuellement pour chasser quelque parasite, et s'échanger des politesses.
D'autres s'ébrouent dans la poussière.
Les tous petits cherchent la mamelle de leur mère enfin disponible.
Trois ânes attachés, une longue corde usée et une chambre à air de camion suffisent à puiser l'eau.
Les vaches attendent au bord de la margelle en béton, qui se remplit au rythme des va-et-vient
ponctués des coups et des cris d'un serviteur noir pieds-nus.
A quelques dizaines de mètres, une ombre s'avance. La vieille dame courbée,
très longue et très digne est vêtue de noir. Par l'échancrure de son habit,
on peut voir son sein plat et ses cotes saillantes. Une bassine rouge en
plastique sur la tête, quelques affaires nouées dans un tissu, elle avance vers le puits,
le long de la piste de latérite. Un jeune cabri noir et blanc en bout de corde,
elle marche face au vent au milieu de son frêle troupeau.
Derrière eux, un nuage de poussière opaque voile l'horizon.
Ce soir-là, j'avais déroulé pour la nuit ma natte dans l'ombre d'un baobab et
tendu ma toile moustiquaire par-dessus mon matelas.
Après le repas frugal, j'avais défait la moustiquaire car il n'y avait aucun moustique.
Puis je me suis déshabillé et allongé sur mon drap, pour me faire sécher de la sueur
de la piste dans le vent tiède presque chaud. Dans l'ombre de la lune, à travers les branches
tordues du baobab, je comptais les étoiles et guettais les étoiles filantes.
Je pensais au Petit Prince : l'Essentiel ne se voit pas avec les yeux.
L'Immensité non plus, je pensais. Quelques étoiles plus tard, dès les premiers bâillements
je quittais mes lunettes. La lune n'était plus qu'une grosse tache lumineuse,
et la plupart des étoiles avaient disparues. Alors je me mis sur le coté et je laissai faire.
Puis le marchand de sable est passé, et il a bien travaillé. Pendant des heures,
la journée suivante nous avons roulé sur des pistes couvertes de sable.
Quelquefois on glissait comme sur de la neige. Je me suis souvent demandé d'où venait
tout se sable dans le désert. Maintenant je le sais, je crois que j'ai deviné.
Le désert se nourrit de notre sommeil, il se recouvre de nos songes.